L’étonnement est de taille devant la diversité des œuvres de Bernard Rebatet ! Depuis les marines et les paysages, jusqu’aux foules errantes, sur les plages ou ailleurs, le chemin parcouru par l’artiste le ramène toujours aux origines, celles de la peinture comme celles de la nature d’où il vient. Bernard Rebatet est un flâneur patient et observateur ; une porte, un marché, un bus, des enfants qui jouent attirent son attention au point de, peu à peu, focaliser sur un arbre ou une fleur. Et il reste là, entamant une longue série du même objet, comme pour épuiser son sujet, peut-être voir au cœur des choses, tel un enfant curieux, les plus petites parcelles du monde. Le travail résonne comme une dilatation du trait, se dirigeant vers une expression un brin nostalgique, où nous sentons toujours se développer le plaisir du dessin et celui de la couleur. Ce qui frappe, c’est l’indécision volontaire entre nature et objet, entre tradition figurative et goût de la matière picturale seule, où s’impose tout à coup, dans un paysage désolé, une chaise vide ou un vélo abandonné. L’idée de solitude est partout, même dans la foule… Edward Hopper n’est pas si loin, qui donne brusquement une gravité à la modestie des sujets.
Au fil des œuvres, nous sommes passés insensiblement d’un plan assez large à un gros plan, d’une variation colorée au rouge dominant et intense du coquelicot ou au vert sombre du bambou. Que nous disent donc ces deux motifs, que nous racontent-ils de l’engagement de l’artiste dans la nature, dans la vie, entre violence et passion sur fond de paysages, de la Drôme à la Réunion ? Le coquelicot incarne « l’ardeur fragile », on le sait associer à la déesse Déméter, celle de la fertilité, mère nourricière ayant tout pouvoir sur les cycles de la nature. Quant au bambou, il incarne l’amitié et la joie. De la robustesse à la souplesse, il représente la droiture. La mémoire d’une région pour chacun, la mémoire de l’artiste. Certes, coquelicots et bambous marquent une rupture qui se traduit aussi, dans les dernières œuvres au format modifié, par un retour à la multitude, par le calme anonymat retrouvé dans des marines, par la recherche de la figure nouvelle qui donne envie d’attendre la suite…
Isabelle Poussier
Plasticienne et Maître de Conférence